Ornella Salnot portrait

Ornella Salnot: “Le cinéma est aussi un outil de guérison”

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Alors que les projecteurs s’éteignent, le mystère du cinéma reste entier. Ornella Salnot est une jeune Guadeloupéenne qui a décidé de conquérir les Septième Art presque par hasard. Installée à Montréal depuis quelques années, Ornella est une réalisatrice en devenir. Pour Qamar, elle nous parle de son parcours et de ses ambitions.


“La parole c’est pas mon truc.”

Installée dans son appartement en plein cœur de Montréal, Ornella Salnot est tout en contraste. Même de l’autre côté de l’écran, il est aisé de se laisser happer par sa présence. Et pourtant c’est avec une voix et un sourire timides qu’elle se raconte.

“Les images, l’écriture – j’écris beaucoup – je préfère. Ça permet d’oser être plus vulnérable et d’aller chercher loin dans les émotions.”

De son propre aveu, Ornella a toujours été calme et réservée avec un profond sens de l’observation. Les autres la fascinent. Les autres l’inspirent. Nos complexités et nos contradictions font les meilleurs sujets. Et après tout, il n’y a rien de plus humain que le cinéma.

“Mes proches, mes relations, et puis moi-même… les relations humaines, c’est la base du cinéma. Quand on fait un film c’est pour qu’il touche les autres, d’une manière ou d’une autre.”

Et le cinéma est arrivé presque par accident dans la vie d’Ornella. Incertaine du chemin à prendre après une filière scientifique au lycée, elle se dirige vers un DUT Métiers du Multimédia et de l’Internet, un diplôme en vogue qui se veut la porte d’entrée à l’industrie de la création de contenu. C’est un choix fait à l’instinct – l’audiovisuel est un domaine qui attise la curiosité d’Ornella dès l’enfance – qui va sans aucun doute changer le cours des choses pour celle qui cherche encore sa voie.

“On a fait un court-métrage étudiant et j’ai adoré l’expérience. Je suis tout simplement tombée amoureuse du processus de création. C’est juste magique – le fait d’avoir une idée, d’écrire une histoire, de tout décortiquer et de savoir comment mettre tout ça en image. C’est passionnant et c’est comme ça que j’ai décidé que je voulais faire du cinéma !”

Un rêve canadien

Originaire de la Guadeloupe, Ornella sait que construire une carrière dans le cinéma – et les arts en général – est plus qu’atypique. Euzhan Palcy, Christian Lara, Jimmy Laporal-Trésor ou encore Jean-Claude Barny sont les quelques rares cinéastes reconnus issus de la Caraïbe francophone.

“Je me suis rendu compte que les filières artistiques ne sont pas celles vers lesquelles on va pousser les jeunes à aller, le cinéma d’autant plus. C’est quelque chose qui nous paraît totalement inaccessible.”

Mais avec le soutien inconditionnel de ses parents, Ornella, DUT en poche, décolle pour le Canada afin de poursuivre son rêve.

“Mes parents, et je les remercie énormément, sont des gens qui veulent juste que leurs enfants soient heureux. Bien sûr qu’ils auraient préféré que je devienne médecin mais ils m’ont suivie sans même poser de questions.”

Le Canada est une terre de promesses pour nombre de jeunes Antillais à la recherche d’une alternative à la France hexagonale. Pléthore d’opportunités, un marché du travail extrêmement dynamique, une large communauté francophone sont autant d’atouts qui rendent le Grand Nord particulièrement attractif.

“Ma meilleure amie est partie là-bas alors que je faisais mon DUT en Guadeloupe. Je suis allée lui rendre visite, ce qui m’a permis de me faire ma propre expérience. J’ai passé deux semaines exceptionnelles !”

Il n’en a pas fallu plus pour convaincre Ornella de partir s’installer à Montréal où les studios sont légion.

“Je me suis dit qu’il me fallait bouger et l’année d’après j’ai annoncé à ma meilleure amie que je viendrais étudier à ses côtés et c’est probablement la meilleure décision de ma vie ! Montréal est une ville multiculturelle où tu rencontres des gens de partout. On y tourne beaucoup de grosses productions américaines, ce qui m’a permis d’évoluer bien plus rapidement que si j’étais ailleurs.”

Pour Ornella, le cinéma est un autre monde. C’est avec des étoiles plein les yeux qu’elle décrit sa première visite à MELS Studios.

“Le set, l’ambiance, le monde qui bosse sur un plateau – tout ça, c’est énorme ! J’étais comme une enfant. Visiter un studio, c’est quitter le monde réel. Et tant que tu ne fais pas partie de ce monde, Il n’y a aucun moyen de savoir à quoi ça ressemble vraiment. De mon expérience, les gens qui travaillent dans le cinéma sont très discrets et parlent très peu de leur métier.”

Ornella ne chôme pas. Depuis qu’elle a posé ses valises, elle multiplie les projets et commence à laisser sa marque. Sélectionnée pour plusieurs programmes, elle a aussi monté sa propre boîte, OML Studios, spécialisée dans la création de contenu mode et s’est essayée au mannequinat.

“L’an passé, j’ai eu la chance d’être prise pour le programme Advanced Cinematography Workshop organisé par Black Women Film, un organisme à but non lucratif basé à Toronto. C’était incroyable parce que j’étais aussi la toute première candidate de Montréal à être sélectionnée – d’habitude, ils ne prennent que des candidats de Toronto. L’atelier donne l’opportunité à des directeurs de photographie émergents de travailler sur une scène de film en compagnie de réalisatrices Noires.”

Ça ne s’arrête pas là. Ornella a aussi pu se risquer à l’art du documentaire en partenariat avec l’une de ses collègues de promotion, Roya del Sol.

“Roya est très talentueuse. Ensemble, nous avons tourné la dernière scène de Boss Lady Skate avec un accès spécial aux studios Netflix, l’un des sponsors du programme. C’est un documentaire sur la toute première femme à avoir ouvert un magasin de skate en Amérique du Nord. Il devrait sortir bientôt !”

Mais Ornella produit aussi ses propres projets. Des films plus intimistes où elle se fait plus vulnérable et questionne son monde. Alors qu’elle souffre du mal du pays et de solitude, elle filme Dans mes pensées. Véritable travail de catharsis, elle met en scène une conversation imaginée avec sa mère où elle s’autorise à exprimer un chagrin passé sous silence.

“Je ne suis plus la même personne que quand j’étais en Guadeloupe. J’ai senti comme un fossé se creuser entre ma mère et moi, ce qui m’a fait énormément de peine. Alors j’en ai fait une œuvre. C’est un sujet que je n’ai jamais abordé en personne avec ma mère mais c’était ma façon à moi de guérir cette blessure de cœur.” 

Un projet d’une grande sensibilité qui vaudra à Ornella de participer à Fulture, l’exposition virtuelle organisée par le collectif Never Was Average.

Mais le projet dont elle est le plus fière à ce jour est un court-métrage, Figures, sur la relation qu’entretiennent les femmes noires avec les Barbies de leur enfance. Dans ce documentaire encore sans date de publication officielle, trois femmes de générations différentes décrivent les effets du manque de représentation dans l’âge tendre.

“C’est parti de ma propre histoire. Ma sœur et moi n’avions pas vraiment de poupées ou sinon elles étaient blondes ou brunes. Mais je me rappelle que l’une d’entre elles avait la peau un peu plus matte que les autres. C’est rapidement devenu ma préférée. Et avec le recul, je comprends pourquoi – c’est juste parce qu’elle me ressemblait un peu plus. Je me suis dit que ça ferait un bon sujet. C’est le tout premier documentaire que j’ai réalisé qui est inspiré d’Ouvrir la voix d’Amandine Gay dont j’aime beaucoup le travail. Peut-être qu’un jour je le publierai mais pas pour le moment.”

Gagner en confiance, créer sa chance

Pour Ornella, le cinéma est une seconde nature qui lui procure un inexplicable sentiment de bien être. La cinéaste a trouvé sa voie et créer n’est qu’une extension d’elle-même.

“Tout commence par l’écrit. Je suis un peu brouillon mais j’ai fini par le comprendre et l’accepter donc je ne lutte plus contre moi-même, ça ne sert à rien. Tout peut partir d’une image et je me mets à écrire avant de passer à l’étape suivante. J’aime aussi la peinture. Les idées me viennent parfois de façon surprenante – une couleur, une matière. Je garde tout jusqu’à ce que je sois prête à terminer le projet.”

Ce à quoi Ornella ne s’attendait peut-être pas vraiment, c’est de faire ses premiers pas dans le monde du mannequinat. Plus à l’aise avec son look androgyne depuis son arrivée au Canada, Ornella s’est autorisée à jouer avec son image. L’art de la mise en scène est au demeurant un indéniable point commun entre les deux passions de l’artiste.

“Je m’y suis toujours intéressée mais je n’étais pas à l’aise avec mon apparence. C’est encore très mal vu chez nous qu’une femme puisse s’habiller de façon plus masculine. Cela vient avec son lot de remarques et de sous-entendus. Ici, je me suis laissée aller à jouer avec mon style, ce qui m’a valu quelques compliments et des encouragements. Je me suis laissée convaincre et j’ai commencé à défiler l’an passé. Je crois que mon look androgyne fait ma force mais je peux être aussi très versatile.”

Et de continuer: “Parce que je fais de la photo, j’ai pu apprendre à me mettre en scène, ce qui m’a permis de gagner en confiance.”

Créer ses propres opportunités pourrait être le mot d’ordre d’Ornella qui en compagnie de ses deux partenaires ont organisé leur propre défilé de mode où cette dernière s’est aussi fait une place sur le podium.

“Les autres ne seront pas toujours là pour te donner ta chance. Mais tu peux montrer de quoi tu es capable. Avec mon équipe, on a organisé le Chaos Fashion Show. Non seulement ça m’a permis de me prouver à moi-même que je pouvais le faire, mais ça m’a ouvert d’autres portes. Depuis, j’ai fait trois autres défilés rien que cette année !”

Créé il y a deux ans en partenariat avec deux de ses meilleures amies, LAX et Maëlle Bonnegrace, OML Studios est une aventure en soi. Au-delà de leurs compétences techniques, les trois jeunes femmes continuent d’ajouter flèche après flèche à leur arc.

“OML Studios nous apporte énormément – en termes d’expérience, de rencontres, etc. On porte plein de chapeaux différents allant de la création à la réalisation de projet, trouver des fonds, contacter des modèles ou démarcher des clients. Ce sont des compétences qu’on a acquises avec le temps. Le Chaos Fashion Show c’était de l’événementiel à une autre échelle. C’était la première fois qu’on travaillait avec autant de monde – des designers, des mannequins, des scénographes… c’est de la coordination au détail près. L’entrepreneuriat permet d’être polyvalent et de mieux apprécier ce que les autres font.”

L’excellence à l’Antillaise, une passion à transmettre

Une expérience qu’Ornella garde précieusement afin de mieux la partager. La transmission a une place importante dans le cœur de notre réalisatrice qui souhaite pouvoir démocratiser la profession et faire bénéficier les autres de ses connaissances comme elle a pu en profiter.

“J’étais sur le tournage d’un film quand j’ai réalisé que le steadicamer était aussi Guadeloupéen. Ça m’a fait tellement plaisir et à lui aussi. Il était heureux de voir une jeune du pays se lancer dans une industrie qui compte peu de personnes de couleur et de femmes. Il m’a fait part de son expérience et m’a donné quelques conseils. Ça m’a fait du bien qu’il soit là. On se retrouve un vraiment partout, nous les Antillais !”

La Caraïbe est un bastion de création. Et à l’instar de nos voisins anglophones et hispanophones, les Antilles françaises regorgent de talents qui, malheureusement, peinent souvent à se faire découvrir. L’industrie locale tourne au ralenti et il est difficile de se faire une place sur la scène monochromatique qu’est la Métropole.

“J’aimerais rentrer pour transmettre ce que j’apprends parce que si je ne le fais pas, à quoi ça sert ? C’est important de revenir, donner les clés pour faire évoluer l’industrie du cinéma chez nous. Depuis que j’ai commencé, je me rends bien compte de combien on est invisible à l’écran et aveugle à la richesse de nos îles – avec tout ce qui s’y passe, nos histoires, notre culture, on mérite d’être vus par le monde entier.”

“On mérite plus de films, de séries où l’on se voit mis à l’écran, où l’on peut se dire, demain je vais au cinéma voir des gens qui me ressemblent dans des genres différents – un film d’horreur, une comédie romantique, de l’animation, etc. on ne devrait rien s’interdire !”

Ornella est formelle. Le cinéma est un outil de guérison comme un autre et nous en avons besoin plus que jamais.

“On a plein de traumatismes aux Antilles, il y a de quoi faire. Il y a tant de choses à soigner. Il faut qu’on se redonne confiance, qu’on se donne la permission d’oser. Je crois vraiment qu’on a d’excellents acteurs, on est très naturel. Ce serait incroyable qu’on ait une actrice bien de chez nous qui finisse sur de grosses productions à l’international. Je veux créer des vocations et permettre à des talents d’émerger.”

Et quand on lui demande ce dont elle rêve, il n’y a aucune hésitation dans sa voix.

“Collaborer avec Jordan Peele. C’est un réalisateur que j’admire pour sa créativité et son style. C’est un souhait que je mets dans l’univers! J’ai confiance, ça arrivera, rappelez-vous en dans quelques années !”

A ceux qui n’oseraient pas, Ornella n’a qu’un conseil à donner.

“Lancez-vous ! Quel que soit le domaine, ne vous posez pas de questions. Vous comprendrez plus tard. Quand j’ai choisi le cinéma, je ne savais même pas de quoi il s’agissait. Croyez en vous-mêmes et n’ayez pas peur de sortir de votre zone de confort. C’est vrai que le cinéma peut être intimidant et que c’est un milieu fermé mais c’est un milieu de passionnés qui seront toujours ravis d’aider, guider, donner des conseils. Alors, n’ayez pas peur, on se retrouvera là-bas !”